Plus de deux femmes sur trois victimes de harcèlement sur une plateforme de rencontre

Plus de la moitié des utilisatrices considèrent que ces agressions sont "tout aussi violentes que celles que l’on peut subir dans la vie réelle", selon l’Ifop.

Maud Le Rest
Rédigé le , mis à jour le
63% des femmes de 18 à 24 ans ont déjà reçu des "dickpics"
63% des femmes de 18 à 24 ans ont déjà reçu des "dickpics"

63% des utilisatrices de sites et applications de rencontre de moins de 25 ans ont déjà reçu des photos de sexes masculins non sollicitées, selon l’Ifop, qui a publié le 13 novembre le premier sondage relatif aux agressions sur les sites de rencontre. Cette étude, commandée par UfancyMe, a été réalisée par Internet du 17 au 19 octobre. 1.031 personnes âgées de 18 ans et plus s’étant déjà inscrites sur un site de rencontre ont été interrogées.

Source : Ifop

Les autres chiffres sont tout aussi éloquents : sur ces plateformes, plus de deux femmes sur trois ont déjà été victimes de harcèlement, et près d’une sur deux a déjà fait l’objet de propos obscènes non désirés. Ces agressions sont loin d’être anodines. 64% des femmes en ayant été victimes considèrent en effet qu’elles sont "aussi violentes que celles que l’on peut subir dans la vie réelle". 12% considèrent même qu’elles sont plus violentes.

"Seules devant leur écran"

Cela ne surprend guère le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste et membre du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. "Ces femmes sont seules devant un écran, et ces propos touchent directement à leur intimité", explique-t-il. Sur le long terme, un traumatisme peut même s’installer. "Ces messages ont un impact sur l’estime que les victimes ont d’elles-mêmes. On constate de l’anxiété, de la peur, de l’hypervigilance…" précise le médecin. Qui rappelle que le cas extrême des "dick pics" – les photos de pénis non désirées – peuvent choquer, en particulier les personnes les plus fragiles.

Se confier à des proches est en outre très difficile, car la victime ressent de la culpabilité. "Les autres peuvent minimiser les faits. Socialement, on a tendance à considérer les victimes comme co-responsables. On leur demande « pourquoi tu t’es inscrite sur ce site ? Pourquoi tu parles à ces gens-là ? »", souligne le Dr Lazimi. Très souvent d’ailleurs, ces utilisatrices finissent par ressentir une méfiance accrue envers le sexe opposé. "Toute agression perturbe la femme victime dans ses relations avec autrui. Elle est fragilisée, elle se demande si tous les autres hommes sont comme ça…" poursuit le généraliste.

Comment une telle violence a-t-elle pu s’installer sur ces plateformes ? Selon François Kraus, directeur du pôle politique et opinions à l’Ifop, ces comportements sont avant tout générationnels. "Il y a eu une évolution de l’image associée à ces outils : aujourd’hui, ils servent surtout aux rencontres d’un soir. Il n’y a plus de filtre", note le responsable de l’Ifop. Les jeunes femmes, notamment, sont souvent victimes des cyber-agresseurs. Sur les réseaux sociaux prisés des 18-25 ans comme WhatsApp ou Snapchat, ces pratiques sont de plus en plus répandues. "On y envoie et on y demande des nudes [des photos de nu], par exemple", précise François Kraus.

83% des utilisatrices ont déjà bloqué un utilisateur

Autre élément qui favorise les comportements violents : la gratuité et la facilité d’accès. Pour s’inscrire sur Tinder, notamment, pas besoin de débourser un seul centime. Les utilisateurs sont donc moins soucieux des règles en vigueur. "In fine, s’ils sont éjectés, ce n’est pas très grave. Ce n’est pas comme avec Meetic ou Adopteunmec, où il faut payer entre 30 et 60 euros par mois", note François Kraus. Résultat : certains utilisateurs sont tellement désinhibés qu’ils n’hésitent pas à proposer une rémunération aux femmes qui leur "plaisent" en échange d’un rapport sexuel. 25% des femmes interrogées affirment avoir déjà vécu cette situation, et ce chiffre monte à 46% chez les 18-24 ans.

Pourtant, aucune modération, ou presque, n’existe sur ces plateformes. D’où un sentiment d’impunité très fort chez les agresseurs. "Les échanges se font souvent sous pseudonyme, on ne se confronte pas directement. C’est le règne du « tout est permis »", constate François Kraus. Reste aux femmes la possibilité de bloquer les indésirables, ce qu’elles sont 83% à avoir fait. "Mais il faut tout de même rappeler que l’on connaît de belles aventures grâce à ces outils. Si c’était bien utilisé, ce serait fantastique !" tempère Gilles Lazimi.

Rappelons que le harcèlement en ligne est puni par la loi, même si les échanges sont privés. L'auteur risque deux ans de prison et 30.000 euros d'amende.