Sécurité routière : les lobbies accélèrent contre la limitation à 80 km/h

Alors que le nombre de morts sur la route est en hausse depuis le début de l'année, les lobbies continuent de lutter contre la limitation de vitesse à 80 km/h. Un énième rebondissement dans l'histoire de cette mesure qui déchire les Français depuis un an.

Rudy Bancquart
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"80 km/h : les lobbies accélèrent", chronique de Rudy Bancquart, journaliste, du 30 avril 2019
"80 km/h : les lobbies accélèrent", chronique de Rudy Bancquart, journaliste, du 30 avril 2019  —  Crédit photo : ©Fotolia

La Sécurité routière a annoncé il y a quelques jours une hausse de 7,3% du nombre de morts sur les routes au mois de mars. Un chiffre qui confirme la hausse du nombre de décès enregistrées depuis le début de l'année 2019. Pour les lobbies automobilistes, la mesure prise par le gouvernement pour limiter la vitesse à 80 km/h n'est pas efficace.

La décision d'instaurer la limitation de vitesse à 80 km/h a été prise en juillet 2017 à la suite d'une note sur la mortalité routière reçue par le Premier ministre, Édouard Philippe. Les chiffres sont mauvais, la tendance est à la hausse depuis plusieurs années. Avec ses conseillers, il décide donc de baisser la vitesse à 80 km/h sur les routes départementales et nationales. Sa décision est aussi politique puisque Édouard Philippe espère marquer les esprits comme Jacques Chirac avec les radars automatiques. En décembre 2017, lors d'un déplacement en Seine-et-Marne, il annonce la mesure qui va faire polémique.

Un coup de frein qui ne passe pas

A l'époque, tout le monde est pris de court car cette mesure n'était pas dans le programme du président Emmanuel Macron. Et les lobbies automobilistes vont contre-attaquer. Si les hommes et les femmes politiques ont une opinion propre, elle reflète autant que faire se peut la base de leur électorat. Mais ils sont aussi influencés par les lobbies. Ils se divisent en deux entre les pro-80 km/h qui défendent la mesure et les anti-80 km/h qui tentent de riposter. Ces derniers ont eu six ou sept mois pour agir car le décret est entré en vigueur en juillet 2018.

Si le Conseil national de la Sécurité routière, qui conseille le gouvernement, défend les 80 km/h, une association est aussi très active. Il s'agit de la Ligue contre la violence routière, présidée par Chantal Perrichon. Elle défend cette mesure depuis des années. Elle est d'ailleurs si active et influente qu'Edouard Philippe l'a invitée à Matignon avant de prendre sa décision. Selon elle, la mesure pourrait épargner 400 morts par an. La règle est simple : la baisse de la vitesse moyenne de 1% fait baisser le nombre de personnes tuées sur les routes de 4%. Pendant sa campagne, Chantal Perrichon est insultée, menacée sur les réseaux sociaux et va être seule face aux nombreux lobbies adverses.

Les anti-80 km/h contre-attaquent

40 millions d'automobilistes est un lobby qui sait se faire entendre dans les médias par la voix de son président Pierre Chasseray. Lorsqu'il a entendu l'annonce du Premier ministre, il tombe de sa chaise. Le lobbying, c'est son métier. Il envoie très vite un message à Edouard Philippe qu'il connaît bien car ils occupaient tous deux des fonctions importantes à l'UMP, l'ancien nom du parti Les Républicains. Pierre Chasseray est un personnage atypique qui est passé par WWF, le cabinet de Douste-Blazy à l'UMP. Son association est financée en partie par l'automobile club de l'ouest présidée par le frère de François Fillon. Il revendique 320.000 adhérents. Pierre Chasseray est un homme de réseau qui a su nouer des amitiés avec des hommes politiques.

D'autres lobbies combattent l'application des 80 km/h. Parmi eux, la Ligue de défense des conducteurs et les Motards en colère. Tous vont faire circuler des pétitions. Celle de la Ligue des défense des conducteurs va recueillir plus de deux millions de signatures. Ils vont aussi organiser des manifestations à travers le pays. Et ces actions sont efficaces. La mesure est impopulaire : en avril 2018, 76% des Français se déclarent contre les 80 km/h. Avec un tel chiffre, ils espèrent faire céder le gouvernement. Pierre Chasseray interpelle tous les sénateurs et les députés, il déjeune avec Vincent Descoeur, député du Cantal. Mais le Premier ministre a décidé de faire passer la mesure par décret, ne laissant place à aucun débat. Vincent Descoeur proposera malgré tout un amendement à l'Assemblée nationale pour une application des 80 km/h au cas par cas par les préfets mais son amendement sera rejeté.

La mobilisation contre la limitation à 80 km/h continue

En juillet 2018, les lobbies ont perdu puisque la loi est adoptée mais l'opinion reste toujours de leur côté. L'histoire n'est donc pas terminée. En novembre, parmi les revendications principales des Gilets jaunes, il y a le prix du carburant mais aussi les 80 km/h. C'est pourquoi les lobbies ne désarment pas, ils vont même accompagner le mouvement. 40 millions d'automobilistes va ainsi relayer la pétition de  Priscillia Ludowski, son président Pierre Chasseray va écumer les plateaux télé et va appeler à poser le gilet jaune à l'avant du véhicule...

De son côté, la Ligue de défense des conducteurs utilise des moyens douteux. Selon l'oeil du 20 heures de France 2, sur le site web du Grand débat, 8.000 contributions sur les 80 km/h contiennent la même phrase : "Laissez-nous adapter notre vitesse aux conditions de circulation". Cette phrase n'est anodine puisque dans un mail envoyé le 24 janvier à ses adhérents, la Ligue de défense des conducteurs appelle à copier-coller le message sur le site du Grand débat. Ils espèrent ainsi influencer les décisions d'Emmanuel Macron.

Vers un assouplissement des 80 km/h ?

Aujourd'hui, c'est un dialogue de sourds s'est installé avec d'un côté pour les pro-80 km/h, qui expliquent les mauvais chiffres de la Sécurité routière par la dégradation des radars, et de l'autre côté les anti-80 km/h, pour qui la dégradation des radars est une manière de protester contre les 80 km/h. Enfin, les anti-80 km/h ne comptent pas uniquement sur le mécontentement de la population, ils se sont aussi rapprochés des sénateurs, dont la majorité est dans l'opposition. Ils savent que leurs arguments peuvent avoir un écho sur ces élus de milieux ruraux, où la mesure est très mal perçue. Résultat, le 27 mars 2019, une brèche s'est ouverte. Le Sénat a voté un amendement permettant aux préfets et présidents de départements d'augmenter localement la vitesse. De son côté, Pierre Chasseray tente actuellement de convaincre les députés LREM de revenir sur la mesure. Une tribune signée avec Patrick Vignal et d'autres députés devrait bientôt être publiée.

L'expérimentation des 80 km/h a lieu jusqu'en 2020 au terme de laquelle son efficacité sera évaluée. Le président Emmanuel Macron n'a jamais défendu la mesure mais il est difficile d'être dans la tête du président aujourd'hui pour connaître sa décision. Mais au-delà des drames humains, l'insécurité routière a aussi un coût pour la société : 50 milliards d'euros par an dans lesquels sont compris les hospitalisations, les victimes légères etc.