"Lundi Vert" : le lobby de la viande défend son bout de gras

Le lobby de la viande est confronté à une tendance qui s'installe en France et qui consiste à manger moins de viande. Le "lundi vert" ou "lundi sans viande", lancé en janvier, en est l'illustration parfaite. Comment expliquer cette tendance ? Comment les lobbies s'en défendent-ils ?

Rudy Bancquart
Rédigé le , mis à jour le
"Le lobby de la viande défend son bout de gras", chronique de Rudy Bancquart, journaliste, du 12 février 2019 -
"Le lobby de la viande défend son bout de gras", chronique de Rudy Bancquart, journaliste, du 12 février 2019 -  —  Crédit photo : ©Pixabay - Tomwieden

Le principe du "Lundi Vert" est de ne plus consommer de viande, ni de poisson au moins une fois par semaine. Il a été lancé sous forme de tribune dans le journal Le Monde. Les arguments sont les suivants :

  • C'est meilleur pour la planète.
  • Cela diminue la pollution due à l'élevage intensif.
  • C'est un geste pour le bien-être animal et c'est meilleur pour la santé.
     

Cette tribune met en avant une étude de l'International journal of cancer qui dit que consommer près de 100 g de viande chaque jour augmente de 30% la probabilité de développer un cancer par rapport à ceux qui se limitent à 40 g en moyenne. Les Français consomment en moyenne plus de 135 g de viande par jour. Cette tribune a été signée par 500 personnalités scientifiques ou médiatiques telles que Isabelle Adjani ou Yann Arthus-Bertrand et par une quinzaine de parlementaires.

La réponse du lobby de la viande à l'appel du Lundi Vert

Au "Lundi vert", le lobby de la viande a soutenu le "Samedi rouge", lancé par un internaute. Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le premier syndicat agricole, encourage à manger du boeuf bourguignon. Elle a été soutenue par Jean-Marie Sermier, député du Jura, qui a posté une photo sur Twitter.


Une contre-tribune a également été lancée et signée par Cécile de France, Michel Sarran soutenant la viande issue de l'agriculture française. L'Interbev, l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, qui est le lobby de la viande en France a aussi réagi en déclarant que le "Lundi vert" ne servait à rien puisque les Français ne mangeaient pas de viande rouge à tous les repas ! Un étrange comme argument puisqu'il n'y a pas que la viande rouge.

Interbev, un puissant lobby de la viande

L'Interbev regroupe 21 fédérations des métiers de la viande et dispose d'un budget annuel de 36,5 millions d'euros en 2016, dont 20 millions consacrés à la communication. Ce lobby a fort à faire car ces dix dernières années, la consommation de viande en France a chuté de 12%. Ce recul coïncide avec des études scientifiques qui ont fait beaucoup de bruit comme cette étude du CIRC, centre international de recherche contre le cancer, qui a classé la viande rouge comme probablement cancérogène et la viande transformée comme la charcuterie comme cancérogène.

Cette étude a fait polémique car elle a participé à introduire le doute dans l'esprit des consommateurs. Le lobby de la viande a réagi et mis en place des stratégies pour défendre son bout de gras. Il a notamment créé un spot pub. Derrière le site Laviande.fr se cache Interbev. Le lobby essaie aussi de conquérir les très jeunes consommateurs. Sur leur site, des kits pédagogiques à destination des écoles et des enseignants sont proposés pour apprendre le bon équilibre alimentaire version Interbev, des animations en classe ou en extérieur avec en option intervenant d'Interbev sont aussi organisés... Ces animations s'appellent "Made in viande" ! Les enfants repartent en prime avec un décalcomanie. 

L'Interbev a aussi déboursé beaucoup d'argent pour un dessin animé "Les jolipré". On y explique comment fonctionne une ferme jusqu'à la production d'une côte de boeuf. Plusieurs associations et ONG comme Greenpeace ont dénoncé ces méthodes dans les écoles et auprès des enfants et ont pointé du doigt les quantités de viande écoulées dans les cantines scolaires. Il s'agit d'opérations de promotion.

La guerre des lobbies

Lors de la loi alimentation qui est entrée en application début février et qui a été discutée en 2019, c'était la guerre des lobbies. Elle opposait le lobby vegan comme L214 contre le lobby de la viande. Si le lobby vegan est dans l'air du temps, celui de la viande pèse lourd : un quart du chiffre d'affaires de l'agroalimentaire en France, soit 33 milliards d'euros. Et les politiques le savent. Sur son site, peu avant le vote de la loi, la FDSEA n'a pas caché avoir fait du lobbying : "La FDSEA de la Marne poursuit son lobbying auprès des députés du département".

Les députés visés et les députés de la majorité présents ont voté contre la vidéosurveillance obligatoire dans les abattoirs et contre l'interdiction des élevages de poules pondeuses en cage. Parmi les 48 députés qui ont voté, plus de la moitié ont des liens étroits avec le monde agricole. Ils sont soit agriculteur comme Jean-Yves Bony (député du Cantal) ou Jean-Baptiste Moreau (député de la Creuse), soit issus de familles d'agriculteurs comme Daniel Labaronne (député d'Indre-et-Loire) ou Géraldine Bannier (députée de Mayenne).

A la veille du salon de l'Agriculture, une campagne pub devrait être diffusée à la télévision dans les prochains jours. Le message ne sera plus "Manger plus de viande" mais "Manger mieux et manger français", ce qui ne veut pas dire "manger moins".