Homéopathie et état grippal : qu’avalez-vous vraiment ?

CHRONIQUE – Notre chroniqueur scientifique Florian Gouthière nous invite à regarder d'un peu plus près la composition de l'un des traitements d'automédication les plus populaires contre les états grippaux...

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le

Avec l’hiver reviennent les ritournelles publicitaires destinées à promouvoir l’automédication contre les états grippaux – maux de tête, courbatures et fièvres non causés par la grippe. Les produits vendus en libre accès en pharmacie coûtent cher. Mais leur efficacité est-elle au rendez-vous ? Dans sa chronique du 21 novembre 2017, notre journaliste scientifique Florian Gouthière s’est intéressé au cas de l’un des produits les plus vantés, et les plus vendus en France… et propose une alternative bien moins coûteuse, "qui aura, en toute logique, autant d’efficacité dès lors qu’elle est administrée dans les mêmes conditions".

Prenez un canard...

À l’origine du produit vendu en pharmacie, on trouve… un canard de barbarie, dont on prend le suc pancréatique, environ 35 g de foie et 15 de coeur, que l’on laisse se décomposer un peu plus d’un mois dans un récipient en verre. À la première étape de notre recette, le jus est dilué au centième dans de l’eau.

Dans 10 cL de jus pur, on a eu, estimation scientifiquement très optimiste : un million de milliard de milliard de molécules [1]. Avec cette première dilution, nous avons encore dix mille milliard de milliard de molécules. La recette invite à diluer le volume ainsi récupéré, au centième, de nombreuses fois d’affilée – en jetant le contenu du verre, et en diluant les gouttes résiduelles sur le récipient.

Comme le montre l’infographie diffusée dans la chronique, à la douzième étape de ce cycle, il n’y a plus – au mieux – qu’une seule molécule issue du "jus de canard" originel. Mais la recette ne s’arrête pas là, et invite à poursuivre le jeu des dilutions…

Un verre de 10 cL d’eau dans lequel serait perdu notre unique molécule devrait, à l’étape suivante, être versée dans un volume d’eau 99 fois plus grand – soit 10 L d’eau. Notez que si l’on récupère 10 cL de ce "mélange", nous n’aurions qu’une chance sur cent d’attraper la molécule rescapée… Quatre dilutions plus loin, notre molécule serait comme perdue dans environ le volume de trois piscines olympiques. Un peu plus, et elle serait perdue dans trois fois le volume de la Méditerranée [2]. Et bientôt dans l’eau de tous les océans du globe… La quarantième dilution renvoie à un volume d’eau équivalent au volume de l’Univers tout entier. Mais la recette nous invite à poursuivre le processus encore… 160 fois.

Tout se passe comme si l’on perdait une unique molécule dans un volume des milliards de milliards de milliards (…) de milliards de fois plus grand que l’Univers [3].

Le "traitement" commercialisé correspond, peu ou prou, à la pulvérisation de quelques gouttes de l’eau de cette piscine des milliards de fois plus grande que l’univers, sur une bille de sucre, vendue à prix d’or après évaporation…

Diluer dans « plus-que-l'Univers » une chose… qui n’existe même pas

Mais peut-être vous demandez-vous pourquoi nous sommes parti d’un canard ? Il y a environ 90 ans, l’inventeur de ce "traitement", Joseph Roy, a cru identifier dans le sang de malades de la grippe une bactérie inconnue, et a émit l’hypothèse qu’elle était responsable de la maladie – et de bien d’autres maux. À l’époque, d’autres bactéries pathogènes sont connues : streptocoques, méningocoques… Comme, selon les observations de Roy, sa bactérie vibrait, oscillait sous l’œilleton de son microscope, il la baptise oscillocoque. Nul ne sait ce qui l’a convaincu qu’elle se retrouverait dans les organes de canards. Peu importe, car l’oscillocoque… personne d’autre que lui ne l’a jamais observé. Fixait-il une tâche dans son œil, ou le battement de son cil contre le verre de son microscope ? La bactérie "oscillocoque" reste un pur fantasme, comme l’a ultérieurement confirmé la découverte des virus de la grippe.

Au fond, pour fabriquer vous-même l’équivalent du traitement commercial, en singeant le rituel, il vous suffit de récupérer le plateau de foie gras de Noël, de le rincer à l’eau claire, de récupérer l’eau de vaisselle dans un petit verre… et de la jeter. Remplissez le d’eau claire 200 fois d’affilée, et posez une goutte du résultat de vos efforts sur des billes de sucre. Voilà qui a aussi peu de raisons de traiter vos maux hivernaux que le produit commercial – mais a le mérite d’être beaucoup plus économe.

Un coûteux placebo qui profite d'une étrange dérogation...

Si l’on a vraiment un doute sur l’efficacité de ce rien – qui sait, le sacrifice d’un canard a peut-être un effet magique ? – il n’est guère difficile de l’éprouver expérimentalement. Il suffit de donner dans les mêmes conditions des grains de sucres vaporisés à des malades, et des grains de sucres non vaporisés à d’autres malades (et sans les informer de qui reçoit quoi). Si le sucre vaporisé a un effet propre, les membres du premier groupe seront mieux portants que les autres. De tels essais ont été menés, et les synthèses d’études les concernant ne surprennent guère. Aucun bénéfice clinique n’est identifié : "il n’y a aucune différence statistiquement significative entre les effets [de ce produit] et un placebo dans la prévention des états grippaux". [4]

Ces résultats surprendront les lecteurs qui pensent qu’en France, pour avoir le droit d’être commercialisé sous le nom de médicament, il faut faire la preuve de l’efficacité propre du traitement (en comparaison d’un placebo). C’est qu’il existe une dérogation au code de santé publique (L. 5121-13) pour une classe de produits, les dispensant de faire preuve de leur efficacité. Ils doivent simplement convaincre de leur innocuité, autrement dit de leur absence d’effets secondaires… ce qui est aisé lorsque aucun effet primaire n’est ni attesté, ni plausible.

L’inefficacité d’un traitement n’est pas un obstacle à sa popularité, dès lors qu’il est aisé de confondre une guérison spontanée (les "états grippaux" se résorbent presque toujours spontanément) avec l’effet du produit que l’on a avalé. Mieux, si l’on n’est pas exposé à un agent pathogène, on imputera à tort notre bonne santé à notre automédication...

FG


[1] Ce calcul renvoie à une estimation (arrondie) du nombre de molécules d’eau dans un volume de 10 cL. Les molécules issues de la décomposition d’organes sont très vraisemblablement plus complexes, et des dizaines, voire des centaines de fois plus volumineuses qu’une banale molécule d’eau. Nous le verrons, cette estimation très optimiste ne modifie en rien la conclusion générale.

[2] Comparaison inspirée par le programme télévisé Lazarus Mirages (2012).

[3] Si nous avions une unique molécule à la douzième dilution, celle-ci serait désormais perdue dans une "piscine" de 1.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.000.
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[4] Attention, les données présentées dans ces synthèses semblent parfois équivoques, car elles incluent des travaux de qualité méthodologique très diverses, ainsi que des publications financées par les promoteurs du traitement (ce qui implique un très fort biais de publication).

Journaliste scientifique et chroniqueur au Magazine de la santé, Florian Gouthière est l'auteur de "Science, santé, doit-on tout gober ?" à paraître ce 28 novembre aux éditions Belin. Un livre disponible chez Amazon, et dans toutes les bonnes librairies !