Infection bactérienne : une jeune fille sauvée grâce à des phages

Une adolescente atteinte de mucoviscidose et souffrant d’une infection bactérienne mortelle a reçu un traitement à base de phages. Ces virus ont réussi à infecter et à éliminer les bactéries pathogènes.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Les trois phages utilisés contre l'infection bactérienne d'Isabelle Carnell-Holdaway.
Les trois phages utilisés contre l'infection bactérienne d'Isabelle Carnell-Holdaway.  —  Crédits Photo : © Nature Medicine, Mai 2019 - Dedrick et al.

Les chances de survie d’Isabelle Carnell-Holdaway étaient inférieures à 1%. A l’âge de 15 ans, cette adolescente britannique née avec une mucoviscidose développe une infection pulmonaire. La bactérie en cause, Mycobacterium abscessus, est résistante aux antibiotiques.

Mais à l’hôpital Great Ormond Street (Londres, Royaume-Uni), Isabelle reçoit un traitement innovant à base de phages (ou bactériophages), des virus capables d’infecter et de tuer des bactéries. Les médecins en charge de la jeune fille à l’hôpital londonien et les chercheurs de l’université de Pittsburgh (États-Unis) qui ont fourni les phages rapportent son cas dans le journal Nature Medicine de mai 2019.

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Lésions cutanées, insuffisance hépatique et pronostic vital engagé

A cause de la mucoviscidose dont elle souffre depuis sa naissance, Isabelle possède des poumons sensibles aux infections : ils produisent en effet un mucus qui constitue un terrain idéal pour le développement de bactéries, comme la bactérie Mycobacterium abscessus.

Un an après le début de l’infection, alors qu’Isabelle est âgée de 16 ans, elle subit une double greffe des poumons. Comme la bactérie est présente dans d’autres parties de son corps, elle contamine les nouveaux poumons transplantés. Pire, sous l’effet du traitement immunosuppresseur qu’Isabelle prend pour limiter les risques de rejet de la greffe, l’infection flambe et les bactéries gagnent du terrain. La peau de l’adolescente est elle aussi touchée et de grandes lésions noires et suppurantes s’y forment. Son foie présente des signes d’insuffisance et les antibiotiques restent inefficaces contre ces germes résistants.


Le pronostic vital de la jeune fille est alors engagé. "D’après notre expérience, tous les patients avec une nouvelle croissance de Mycobacterium après une greffe sont décédés", raconte à la BBC la docteure Helen Spencer, pédiatre spécialisée en greffe pulmonaire qui a soigné l’adolescente. Pour certains patients, le décès survient même "en moins d’un an, en dépit d’un traitement agressif" ajoute la docteure.

Un cocktail de trois phages

Alors que l’état d’Isabelle continue de se dégrader, sa mère, Jo Carnell-Holdaway, cherche des solutions sur internet et découvre l’existence de la phagothérapie, un traitement à base de phages. Elle en parle à l’hôpital de Great Hormond Street, qui contacte le professeur Graham Hatfull, chercheur à l’université américaine de Pittsburgh. Celui-ci possède plus de 10.000 virus à partir desquels il fabrique en quelques mois une combinaison efficace contre l’infection d’Isabelle.

Ce cocktail de virus est constitué de trois phages, dont deux génétiquement modifiés. Les médecins injectent ce mélange à la jeune fille par voie intraveineuse deux fois par jour et l’appliquent sur ses lésions cutanées. Six mois plus tard, Isabelle est sur pieds. Elle sort de l’hôpital et peut même retourner à l’école. Aujourd’hui, l’adolescente n’est pas guérie mais son infection est sous contrôle grâce à des injections encore quotidiennes du cocktail de phages.

Bientôt une généralisation de la phagothérapie ?

"Il s’agit à notre connaissance du premier usage thérapeutique de phages contre une infection à Mycobacterium humain, et le premier usage de phages modifiés" se félicitent les scientifiques dans leur publication. Pour le moment, rien ne prouve que les phages soient directement à l’origine de l’amélioration de l’état de la patiente. Mais les chercheurs notent que "les patients présentant des conditions cliniques similaires ont généralement une morbidité et une mortalité élevées" et que, dans le cas d’Isabelle, "l’amélioration n’est pas associée dans le temps à l’arrêt ou à l’initiation d’autres traitements".

Les phages semblent donc bien avoir été efficaces et sans danger pour cette patiente, mais la réalisation d’essais cliniques reste nécessaire avant de pouvoir généraliser leur usage. Ils constituent dans tous les cas une piste prometteuse pour lutter contre les infections bactériennes, notamment les infections dites antibiorésistantes c’est-à-dire contre lesquelles les antibiotiques couramment utilisés sont impuissants.