L'espérance de vie en bonne santé, grande absente du débat sur la reforme des retraites

On connait tous l'espérance de vie à la naissance, mais moins l'espérance de vie en bonne santé. De quoi s'agit-il exactement et pourquoi la question n'est-elle pas abordée par les pouvoirs publics ?

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
© Robert Kneschke - Fotolia.com
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"Rien n’est décidé" concernant la reforme sur les retraites. Le président de la République Emmanuel Macron l’a affirmé lundi 26 août sur France 2.
Le sujet est sensible et tient à cœur aux Français, qui entendent bien "profiter" de la retraite après une vie de labeur. Avec l’allongement de la vie, la retraite est devenue une véritable deuxième vie : l’espérance de vie à la naissance a atteint 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes en 2018 en France métropolitaine, selon l’Insee. Au cours des 60 dernières années, les hommes comme les femmes ont gagné 14 ans d’espérance de vie en moyenne.


Des années en plus, mais dans quel état de santé ?

Le nombre d’années "ajoutées au compteur" est certes un signal positif pour un pays. Mais l’état de santé dans lequel ces années sont passées est aussi un élément crucial. Une importante donnée statistique existe  : l’espérance de vie en bonne santé, aussi appelée espérance de vie sans incapacité. Il s’agit, selon l’Insee, de la durée de vie moyenne sans limitation irréversible d'activité dans la vie quotidienne ni incapacité d'une génération fictive soumise aux conditions de mortalité et de morbidité de l'année.

"On est beaucoup plus habitués à entendre parler de l’espérance de vie à la naissance, admet Muriel Moisy, socio-démographe à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Mais comme celle-ci elle s’allonge, s’est posée la question de savoir si ces années de vie gagnées étaient des années de vie passées ou non en bonne santé. Des chercheurs ont donc mis au point cet indicateur qui permet de mieux apprécier le bénéfice de ces années de vie supplémentaires."

Un chiffre qui n’évolue pas

Si la France est très bien placée en Europe et dans le monde pour l’espérance de vie à la naissance, elle ne dépasse par la moyenne européenne en ce qui concerne l’espérance de vie en bonne santé. Selon les dernières données disponibles, elle est de 64,9 ans pour les femmes et 62,5 ans pour les hommes. Elle est restée stable ces dix dernières années. La part des années vécues sans incapacité est stable elle aussi, autour de 80 % pour les hommes et de 75 % pour les femmes : ces dernières déclarent en effet davantage de limitations fonctionnelles, légères ou fortes, dans les activités du quotidien.

Des données déclaratives

Pour savoir jusqu’à quel âge, en moyenne, les Français vivent en pleine possession de leurs moyens, 14 000 ménages sont soumis tous les ans à un questionnaire. "Dans toutes les enquêtes de santé, que ce soit en France ou en Europe, trois questions sont présentes, explique Muriel Moisy. ""Quel est votre état en général ?" "Souffrez-vous d’une maladie durable ou chronique?" et "Etes vous limités dans les gestes du quotidien (si oui, légèrement ? fortement ?)?" L’indicateur de l’espérance de vie sans incapacité repose sur cette dernière question. C’est un indicateur global du ressenti des personnes qui a fait ses preuves", estime la socio-démographe.

Pas de détails sur d’éventuelles inégalités sociales

Mais comme dans le cas de l’espérance de vie à la naissance, les chiffres mis en avant ne sont que des moyennes qui recouvrent des situations très différentes. Il est probable que les incapacités surviennent plus rapidement dans les classes sociales les moins favorisées où les travaux physiques sont plus courants, la prévention et les soins moins bons. Mais aucune étude n’est jamais vraiment venue objectiver des inégalités dans le "bien vieillir". "Les enquêtes sont menées sur des échantillons représentatifs de la population française, mais l’espérance de vie en bonne santé n’est pas un indicateur que l’on décline par origine sociale. Sur cette question, nous n’avons aucunes données", admet Muriel Moisy. "Il y a seulement eu, il y a une quinzaine d’années, une étude d’Emmanuelle Cambois qui montrait que non seulement les ouvriers vivaient moins longtemps, mais qu’en plus ils vivaient plus longtemps en mauvaise santé." (La "double peine" des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte), ndlr)

Les gouvernements n’en font pas grand cas

De ces données, les gouvernements -actuels et passés- en tiennent-ils compte pour nourrir leurs réflexions sur la réforme des retraites ? Ils en prennent, en tout cas, connaissance. "L’espérance de vie sans incapacité compte parmi les indicateurs de richesse. Le conseil des retraites nous le demande tous les ans début octobre, indique la socio-démographe. Ce qui l'intéresse c’est de savoir combien d’années en bonne santé vivent les gens après 65 ans. Et avec quel degré de limitation : en effet, avec une déclaration de limitation légère, on pourrait imaginer que ce sont des personnes encore capables de travailler."

Selon Frédéric Bizard, économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé, ces données ne sont pas du tout prises en compte dans le débat sur les retraites. "Certains syndicats peuvent les prendre en considération mais le font pour nourrir leur opposition à tout report de l’âge de la retraite. Mais pas les gouvernements. En tout cas, le sujet n’est pas officiellement abordé." Un tort, toujours à en croire l’économiste. "C’est une erreur : la hausse de l’espérance de vie est pour 2/3 en mauvaise santé. Mais le gouvernement, n’a pas envie d’aborder le sujet parce qu'il est plutôt défavorable au travail au-delà de 62 ans. Pour lui ce serait se tirer une balle dans le pied."