Indignation des médecins : pour le ministre de l'Agriculture, le vin n’est "pas un alcool comme les autres"

Didier Guillaume est également persuadé que les jeunes qui "sortent de boîte de nuit" ne boivent jamais de vin. Des propos vivement dénoncés par les médecins.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
La sortie de Didier Guillaume intervient une semaine après la présentation du plan contre les addictions.
La sortie de Didier Guillaume intervient une semaine après la présentation du plan contre les addictions.

"L'addiction à l'alcool est dramatique, et notamment dans la jeunesse, avec le binge drinking, etc. C'est dramatique, mais je n'ai jamais vu, à ma connaissance, malheureusement peut-être, un jeune qui sort de boîte de nuit, et qui est saoul, parce qu'il a bu du Côtes-du-rhône", a déclaré le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume sur BFMTV le 16 janvier. Selon lui, les jeunes préfèrent en effet "des mélanges" ou "de l'alcool fort". "Je ne crois pas que le vin soit un alcool comme les autres", a-t-il ajouté.

"Il faut lutter contre toutes les addictions, mais il faut éduquer les Françaises et les Français et la jeunesse au bon, au beau", a ajouté le ministre, avant d'enfoncer le clou : "Il faut éduquer à boire un verre de vin, pour savoir ce que c'est." Ses propos ont très vite suscité l’indignation sur les réseaux sociaux.

Les addictologues indignés

La sortie de Didier Guillaume est fort mal venue quand on sait que le gouvernement a présenté son plan contre les addictions il y a tout juste une semaine – un plan déjà critiqué par les spécialistes, qui lui reprochent de ne pas aller assez loin dans la lutte contre l’alcoolisme.

"Quel aveuglement ! M. Guillaume, tous les médecins vous invitent à faire un tour aux urgences un soir de feria ou de beaujolais nouveau. Pour être plus précis, il y a tous les jours des comas éthyliques au vin", a réagi le Pr Michel Reynaud, addictologue et président du fonds actions addictions. "Avec un tel discours, […] il place surtout la France dans une position intenable et lamentable quant à l'influence du lobby sur nos politiques", a renchéri le Pr Amine Benyamina, psychiatre spécialiste des addictions.

De son côté, Bernard Basset, vice-président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), a rappelé que "contrairement à ce que prétend le ministre de l'Agriculture, les études démontrent que les jeunes se saoulent avec du vin (18%) ou du champagne (25%) selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Le vin est aussi un alcool comme les autres pour se saouler".

Le vin est bel et bien cancérigène

Comme l’expliquait le journaliste scientifique Florian Gouthière en mars dernier, la consommation modérée d’alcool est associée à l’augmentation d'un grand nombre de cancers (bouche, gorge, larynx, œsophage, estomac, foie, sein…). Même à faibles doses. Et le vin ne fait pas exception : chez les femmes, par exemple, dès un verre par jour, le risque de développer un cancer du sein augmente, comme avec les autres boissons alcoolisées (de l’ordre de +10%).

Mais le grand public est parfois trompé par des annonces sur les effets positifs sur la santé de molécules anti-oxydantes extraites du vin comme les polyphénols. Pourtant, si certains d'entre eux ont des effets biologiques in vitro et, à doses élevées, sur le modèle animal, ces effets restent aujourd'hui très spéculatif chez l'homme. En outre, l’idée que leur présence annulerait les effets cancérogènes de l’alcool est démentie par la littérature scientifique.


Chronique de Florian Gouthière, journaliste scientifique, diffusée le 19 mars 2018

L’influence des lobbies de l’alcool mise en cause

Ces derniers mois, les acteurs de la lutte contre l'alcoolisme ont dénoncé la présence d'Audrey Bourolleau, ancienne déléguée générale de Vin et société (le lobby du vin) au poste de conseillère Agriculture de l'Elysée.

Le 27 juin dernier par ailleurs, ces mêmes acteurs se sont prononcés contre la participation des trois filières de l'alcool au plan national de santé publique. Celles-ci ont en effet remis à l'Elysée 30 propositions, promettant d’y injecter près de 5 millions d’euros, dont 2 pour la filière viticole.

La colère des addictologues a enfin ressurgi la semaine dernière, lors de la présentation du nouveau plan gouvernemental contre les addictions. "Il y a au gouvernement, et surtout à l'Elysée, des gens qui ont décidé de soutenir la viticulture", avait réagi le Pr Reynaud, déplorant l'absence de "mesures structurellement efficaces" pour agir sur le prix de l'alcool.