Musique et cerveau : dans la tête du chef d'orchestre

♬ MUSIQUE ET CERVEAU - Leonard Bernstein était un grand compositeur et chef d'orchestre américain, à qui l'on doit notamment le célébrissime West Side Story. Directeur musical du philharmonique de New York, Leonard Bernstein a également démontré ses qualités de pédagogue dans une émission de télévision qui sensibilisait le grand public à la musique classique. Seuls musiciens à ne pas proférer le moindre son, quelles qualités peuvent bien se cacher dans le cerveau des grands chefs d'orchestre ?

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Vidéo : chronique de Jean-Marie Leau, du 15 octobre 2010 - Image : CC BY 2.5
Vidéo : chronique de Jean-Marie Leau, du 15 octobre 2010 - Image : CC BY 2.5

De prime abord, il n'y a guère plus de différences entre le cerveau d'un chef d'orchestre et celui d'un titulaire du permis poids lourd, comme nous le rappelaient Poiret et Serrault dans l'irrésistible permis de conduire un orchestre. Le chef d'orchestre donne les départs, les ralentis, les accélérations, plus fort ou moins fort... Si ce n'est que cela, le cerveau du premier commissaire de course, ou agent de police venu ferait l'affaire.

Les compétences spécifiques du chef d'orchestre

Outre une expertise et une sensibilité totale à la musique (ce qui ne va pas de soit puisqu'on estime qu'a contrario 3 à 5% de la population occidentale souffre d'amusie congénitale), diriger un orchestre requiert une capacité d'analyse visuelle et spatiale, du fait de la nécessité de savoir lire la partition complète (le score). Arturo Toscanini disait : "il y a deux sortes de chefs d'orchestre : ceux qui ont la partition dans la tête et ceux qui ont la tête dans la partition", ce qui signifie que le chef est supposé avoir intégré la totalité de l'oeuvre écrite afin de n'être concentré que sur l'écoute.

À cette compétence visuelle et spatiale s'ajoute une compétence attentionnelle, ce que le neuroscientifique américain Robert Efron a baptisé le Cocktail party effect, qui décrit la capacité de s'entendre et surtout d'entendre les autres. L'attention divisée est localisée dans le lobe préfrontal et la partie antérieure du cingulum.

Comment le cerveau traite l'information musicale ?

Les observations réalisées sur des musiciens victimes de lésions du cerveau ont permis de mieux comprendre comment le cerveau traite l'information musicale. Bernard Lechevalier, professeur de neurologie, cite l'exemple d'un chef de choeur pris d'un léger mal de tête au cours d'une répétition. Il entend ses choristes chanter faux et une fois rentré chez lui, il veut écouter un disque : idem, tout est faux. Pour l'ORL, aucun problème d'oreille. En revanche le neurologue diagnostique une occlusion de la carotide interne droite qui a occasionné une lésion du lobe temporal droit. Aucun trouble du langage, aucun trouble du rythme, mais une incapacité à entendre les variations de hauteur des notes, ce qu'on appelle une surdité tonale.

Les troubles de la perception du rythme sont observés quant à eux lors de lésions de l'hémisphère gauche. Il n'y a pas un centre cérébral de la musique mais plusieurs. Cela explique par exemple que des personnes peuvent souffrir d'aphasie et n'avoir aucun problème d'ordre musical.

Y a-t-il toujours eu un chef pour diriger un orchestre ?

Jusqu'au XIIIe siècle, une personne est chargée de battre la mesure avec un bâton. Aucun statut particulier, si ce n'est que la plupart du temps il s'agissait du compositeur en personne. C'est ainsi que Lully en est mort après s'en être donné un violent coup sur le pied. Durant l'ère baroque la direction est assurée par le joueur de clavecin.

Durant l'ère romantique (XIXe siècle), les orchestrations plus denses et des rythmes plus complexes aboutissent à l'apparition du chef tel que nous le connaissons : plus de bâton ni d'instrument, une simple baguette... Beethoven, Mendelssohn et Berlioz furent les précurseurs de ce mode de direction. Wagner a inauguré le "culte du chef d'orchestre" en apportant un engagement plus fort à l'égard de l'interprétation.

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes à la baguette ?

La Suissesse Hedy Salquin fut la première femme à intégrer la classe de direction d'orchestre du Conservatoire de Paris en 1949 dont elle rafla le premier prix. Il faut attendre 1995 pour voir une femme, Claire Gibault, diriger l'orchestre de La Scala à Milan. Elle est en outre aujourd'hui députée européenne. Herbert Von Karajan, Toscanini, Georges Prêtre, Claudio Abbado, Rostropovitch, Boulez, Daniel Barenboïm, même si l'on évolue vers un nombre croissant de femmes aux pupitres, nous sommes loin de la parité.

Une nouvelle espèce de chef a récemment fait son apparition. Conçu par le musicien Pascal Gautier et la société Arevent, le robot chef d'orchestre a récemment été présenté à la Cité des Sciences pour une interprétation des danses roumaines de Bartok. Ils ont procédé à la capture des mouvements d'un chef, fidèlement restitués ensuite par un robot qui d'ordinaire est utilisé pour l'automobile ou l'agroalimentaire. L'objectif de Pascal Gautier est de constituer un trésor patrimonial, de mémoriser la gestuelle d'un expert, qu'il soit musical ou graphique, pour les générations futures.

La direction d'un orchestre, c'est aussi l'image de l'autorité, d'un statut privilégié qui donne ainsi matière à être tourné en dérision. Louis de Funès l'a fait avec génie dans La Grande Vadrouille, Rowan Atkinson (Mr Bean) a également interprété un sketch désopilant sur ce sujet.