Charlie Hebdo : comment parler de l'attentat avec les plus jeunes ?

Ce soir, en rentrant de l'école, ils vont probablement vous parler de la minute de silence qu'ils auront observée en classe. Que faut-il en dire ? Peut-on ne rien dire ? Quels mots utiliser ? Catherine Jousselme, pédopsychiatre, était l'invitée du Magazine de la Santé ce 8 janvier 2015.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
  • Quelles seront les questions des enfants ? Celles des adolescents ?

Catherine Jousselme – Selon l'âge des enfants, les questions vont être différentes. Les petits peuvent être complètement perdus, pas forcément comprendre l'enjeu de la minute de silence. Je pense que les parents doivent dire les choses basiques. Et en référer, surtout, au fait que les adultes – et d'abord les parents – sont là pour encadrer les enfants, les protéger. Il faut essayer d'en parler d'abord entre adultes, pour être le moins impressionné soi-même. C'est tout à fait normal d'avoir des réactions affectives et que nos enfants les voient, sinon on serait des robots… Mais il faut leur montrer que nous, en tout cas, avons confiance dans les institutions de l'Etat, que les adultes prennent en charge les choses.

Avec les ados, je pense que les choses vont être différentes. Les ados se posent des questions sur le monde, et ils ont souvent envie d'agir sur le monde. Je pense que dans beaucoup de collèges, dans beaucoup de lycées, un grand nombre d'actions vont être réalisées, encadrées par les professeurs, du type dessins, fresques, messages… Et ça je crois que c'est quelque chose de très positif, car ce qui est terrible pour un adolescent, c'est de se sentir impuissant face à une nouvelle de ce type.

Je crois aussi que les parents doivent être très vigilants à ne pas trop montrer les images, pour les petits comme pour les grands. On a vu les choses, inutile de les regarder en boucle. Cela circule sur les réseaux sociaux, sur Internet. On encadre, si les enfants voient ça, on entoure. Je pense que les petits, s'ils ont vu, on dit que c'est bon pour une fois, et on décrypte beaucoup, beaucoup, ce qui se passe avec les médias. Et pour les grands, on discute avec eux, et on leur dit que le témoignage a eu lieu, on a vu les images, et que ce n'est pas la peine de les regarder en boucle. Cela ne sert à rien. Maintenant, il faut tous que l'on puisse agir ; que notre pays est en train d'agir, que les gens dans notre pays sont en train d'agir. Je crois que ça fait partie des messages importants à leur passer, aussi.

  • Depuis hier, il y a le choc, la sidération. Peut-être que dans les jours qui vont venir, il va y avoir un sentiment de peur qui va surgir, aussi bien chez les enfants que chez les adultes. Est-ce qu'il y a un moyen de dépasser cette peur ?

Catherine Jousselme – Dans les valeurs de notre Etat, il y a la Fraternité – une des premières choses à partager entre nous et avec les enfants. C'est-à-dire, comme disait Robert Badinter hier, que la haine n'arrive pas, et que l'on n'ait pas peur des uns des autres. La solidarité fait aussi partie des choses qui sont propres à notre Histoire ; je crois que c'est quelque chose que l'on peut transmettre aux enfants et qui nous aide nous. J'ai été très frappée hier du mouvement dans la France entière, dans des toutes petites villes, avec la présence de personnes de tous âges, des enfants, des personnes âgées… Je crois que nous, adultes, cela doit nous rassurer et que ce qui a été dit va être fait, et ce qui est déjà déployé comme stratégie dans le pays peut rassurer les enfants. Le message de notre président de la République aussi. Je crois que le fait qu'il se soit déplacé tout de suite, ce qu'il a pu dire de ce qu'est la République, est quelque chose qui sera sûrement discuté dans les collèges et les lycées, dans les heures d'éducation civique. On doit, nous aussi, s'appuyer là-dessus.

Il faut aussi que les adultes discutent entre eux. C'est quelque chose d'important. Dans ce type d'évènements, ce qui est compliqué c'est d'être seul, d'être impuissant, isolé. Et je crois que plus on discute entre nous de ces valeurs et de ce qu'on peut faire, même de petits gestes… Les slogans qui ont été trouvés immédiatement sont aussi importants. Il faut aider nos enfants à rester des enfants, pour les plus petits, et être des ados qui se questionnent sur le monde, mais en sécurité grâce à nous, pour les autres.

  • Dimanche, il y a une grande manifestation. Beaucoup de parents veulent emmener leurs enfants avec eux, parce qu'il faut participer à ce rassemblement républicain. Est-ce une bonne idée ? Est-ce que le choix doit être laissé à l'enfant ?

Catherine Jousselme – Je crois qu'il ne faut pas "laisser le choix à l'enfant", notamment quand il est petit, car il ne peut pas avoir un avis sur la question. C'est au parent de décider. Les ados, je crois que c'est plus une discussion avec eux… J'ai l'impression que c'est vraiment quelque chose de très personnel. La décision doit également être fonction du caractère de nos enfants. Pour certains enfants, cela va être quelque chose qui va les inquiéter davantage. D'autres, au contraire, vont y trouver de la force, et l'envie de se dire que l'on n'est pas seuls, justement. Je laisserais cela à l'appréciation des parents, en faisant peut-être attention plus aux tout-petits, aux plus jeunes, qui peuvent être inquiets dans une manifestation de foule énorme.

  • Comment, en tant que parents, peut-on éventuellement utiliser le dessin pour faire parler l'enfant, ou pour le soulager ?

Catherine Jousselme – On peut dire aux enfants de dessiner, parce que cela permet d'exprimer des choses. […] Maintenant, il faut que les parents soient vigilants à l'état de leurs enfants. Certains vont certainement bien réagir, être normalement inquiets, dormir bien, manger normalement. D'autres peuvent avoir vraiment des états de sidération, particulièrement des enfants qui vont se sentir en danger par rapport aux autres, avoir peur que les autres aient peur d'eux, par exemple. Je crois que là, il faut absolument demander de l'aide si on sent que son enfant ne va pas bien, a des petits symptômes d'angoisse, de panique. Il faut en référer à son médecin généraliste – parce que c'est le premier qui nous connaît bien –, à son pédiatre, éventuellement à des psys, à l'enseignant aussi, pour prendre en charge, si quelque chose ne va pas.

  • Il est probable, aussi que des enfants, entre 5 et 9 ans, transforment ça sous une forme de jeu dans les jours qui viennent, en jouant aux bandits, comme on l'a tous fait… Est-ce une bonne façon de s'approprier cette histoire ?

Oui. Les enfants ont tendance à mettre en scène, mettre en jeu et ce n'est pas du tout forcément quelque chose de dramatique et de pathologique. Ce qui est compliqué pour les parents, c'est de le voir, et de se dire : il joue au méchant… qu'est-ce que c'est cette histoire ? La plupart des enfants mettent en scène les choses, changent les personnages, il y a toujours des gens qui punissent dans leurs jeux. Et du coup, on arrive à quelque chose qui est de l'ordre de l'expression. Donc les dessins, les jeux, je pense que c'est ce qui va être fait dans les écoles primaires autour de l'éducation civique, c'est-à-dire plus une discussion et de l'évocation de possibilités d'explications, que les enfants pour se transmettre, plutôt que des grands débats philosophiques qui sont quand même très compliqués, même pour les adultes.

Pour aider les parents à expliquer les évènements du 7 janvier 2015 aux enfants, les éditions PlayBac presse ont mis en accès libre sur leur site une version numérique d'une édition spéciale du Petit quotidien (pour les 6-10 ans), de Mon Quotidien (pour les 10-14 ans) et de l'Actu (pour les plus grands).