Des parents trop ''cools'' pendant le repas des jeunes enfants ?

Faire manger les tout-petits devant la télévision, céder à leurs caprices alimentaires, les habituer au grignotage... Selon l’étude Nutri-Bébé, réalisée par une organisation professionnelle, diffusée le 26 novembre 2013, les parents de 2013 préféreraient céder à certaines facilités pour éviter les conflits à l'heure du repas. Une attitude qui ne serait pas sans conséquence sur la santé, présente et future, de leur enfant.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le

Eviter le conflit ?

Commandée par le Syndicat français des aliments de l'enfance (SNAE, qui regroupe les industriels spécialistes de l’alimentation infantile), l'étude Nutri-Bébé 2013 brosse un tableau de la cellule familiale moderne (1) surprenant à bien des égards.

Depuis 2005, date de la précédente étude de la SNAE, une seule chose semble ne pas avoir fondamentalement changé : dans 86% des foyers, ce sont les mères qui préparent le repas et nourrissent le plus régulièrement le jeune enfant (2).

Mais ces mères tendent à être "plus cools à table" qu’elles ne l'auraient été il y a moins d’une décennie, observe le sociologue Jean-Pierre Corbeau, invité par le SNAE à commenter l'étude.

"Elles dédramatisent et sont plus tolérantes face aux désirs de leur bébé", détaille-t-il. "Quand les mamans retrouvent leur enfant, le temps du repas reste un moment
 de complicité et de plaisir. D'ailleurs, près de la moitié des mamans déclare ne pas insister quand leur enfant refuse de consommer certains aliments, et accepter ce refus sans doute pour que ce moment du repas reste un moment de plaisir et non de conflit."

Toutes les mères ne sont pas laxistes pour autant : "30% d'entre elles proposent une autre fois l'aliment à leur enfant", poursuit Jean-Pierre Corbeau. Toutefois, "contrairement aux générations précédentes qui le faisaient tout de suite jusqu'à ce que l'enfant accepte, elles le font sans doute un peu plus tard, au cours des repas suivants."

Selon le pédiatre Alain Bocquet, également convié à analyser l'enquête du SNAE, "il faut persévérer en proposant de nouvelles fois, encore et encore, l'aliment refusé, dans le calme et dans une ambiance conviviale. Cette démarche est importante pour aider l'enfant à appréhender la nouveauté et ainsi l'accompagner vers une grande diversité alimentaire dans sa future vie d'adulte."

Car selon ce médecin, "la palette alimentaire se construit très tôt et, pour beaucoup d'enfants, il faudra jusqu'à huit présentations d'un aliment initialement rejeté pour q'’ils finissent par l'apprécier. Sachant aussi que les enfants refusent principalement les légumes alors qu'il est important qu'ils apprennent rapidement à les apprécier pour consommer les quantités recommandées chaque jour." (3)

 

Des parents moins vigilants après un an

Le docteur Bocquet constate que, chez les moins de 1 an, "les parents suivent de mieux en mieux les recommandations nutritionnelles." Des préconisations importantes, "les enfants de 0 à 3 ans ayant des besoins spécifiques auxquels seule une alimentation sûre et adaptée peut répondre."

Mais selon l'étude du SNAE, les parents tendent à beaucoup moins surveiller le contenu de l'assiette de leur enfant lorsque celui-ci passe le cap des 12 mois. Selon Jean-Pierre Corbeau, à cet âge, les nombreuses interactions sociales de l'enfant et sa tendance au mimétisme le poussent à réclamer des aliments qu'il a vu manger par ailleurs.

Une explication qui n'est pas exclusive : "[lorsque l'enfant commence à marcher], les parents supposent que [celui-ci] est grand, qu'il n'est plus un bébé." Forts de ce constat, et pris par les contraintes professionnelles et personnelles, les adultes chercheraient "à se simplifier la vie".

"Les précautions qu'ils ont appliquées pendant 12 mois au nourrisson sont à leurs yeux devenues inutiles", résume le sociologue. "Leur enfant réclame un aliment, ils le lui donnent."

 

Nomadisme alimentaire

Selon Jean-Pierre Corbeau, il existerait dans les familles d'aujourd'hui un véritable "nomadisme alimentaire" qui jouerait aussi en défaveur de l'équilibre nutritionnel des jeunes enfants. "On mange dans la cuisine, sur le canapé, devant la télé, dans le jardin, de manière continue ou fragmentée en fonction de ses activités", observe-t-il à la lumière de l’étude. "L’enfant, qui peut se déplacer tout seul, peut même après son repas profiter ensuite de ce que mangent les parents ; il va chaparder un bout de frite par ci, un morceau de pizza par là. C’est ainsi que certains aliments sont introduits trop tôt, pouvant induire des conséquences sur la santé de l'enfant."

En effet, les spécialistes de la petite enfance déconseillent avant 3 ans les fritures et les graisses cuites, nocives pour la santé.

Pour le Dr Bocquet, cette tendance est très préoccupante. "Pendant [les trois premières années de vie de l'enfant], [son] alimentation a une 
importance majeure pour sa santé, avec des répercussions sur sa vie entière.
 Ainsi, un enfant qui commence à manger autre chose que du lait avant 4 mois va augmenter son risque d'obésité à l'âge adulte, et majore de manière importante son risque de maladies allergiques. Avant 3 ans, l'excès de protéines fatigue les reins et pourrait augmenter le risque de surpoids ou d'obésité. La consommation excessive de sels minéraux n'est pas anodine non plus pour les reins, et l'excès de sel peut augmenter les chiffres de pression artérielle à l'âge adulte et l'habitude au goût salé."

Boissons sucrées

Si les sodas sont rarement proposés avant un an, "40% des enfants de moins de 2 ans en ont déjà consommés et 23% en consomment au moins une fois par semaine", note le docteur Bocquet. "Les sirops et les boissons aromatisées non lactées sont consommés quotidiennement par 8% des enfants de 1 an, et 13% à 3 ans. 30% des enfants de plus de 2 ans en consomment au moins une fois par semaine."

"Les jus de fruits sucrés non spécifiques sont quotidiennement consommés par 21% des enfants d’1 an et 36% de moins de 3 ans", poursuit le pédiatre. "Cet apport inapproprié de [toutes ces] boissons sucrées donne de mauvaises habitudes, l’enfant refusant ensuite l’eau pure, avec de plus un risque majoré de caries dentaires, de surpoids et d’habitude aux goûts sucrés".

Des repas moins conviviaux ?

A partir de 12-23 mois, 64% des enfants mangent régulièrement en même temps que leurs parents. Mais 60% de ces tout-petits mangent la même chose que leurs aînés.

"En tant que sociologue", souligne Jean-Pierre Corbeau, "je tiens à réaffirmer l'intérêt d’un repas familial pris dans un climat serein, qui doit être un moment d'échanges privilégiés pour la famille et de découverte pour l’enfant."

Or, il reste une part non négligeable d'enfants qui ne mangent jamais avec leurs parents (17% des 12-23 mois, 6% des 24-29 mois). "Là encore, c'est le style de vie des parents qui s'exprime. La France s'urbanise, les trajets sont longs, le retour au domicile est tardif, incompatible avec le rythme de l'enfant, le temps de la complicité du repas est donc souvent différé (on jouera quand celui-ci aura mangé ou le week-end seulement). Pour d'autres raisons, les générations précédentes (grands-parents et ascendants) ne mangeaient pas du tout avec l'enfant, en grande partie parce que celui-ci n'était pas considéré comme une personne."

Dernier sujet de préoccupation mis en lumière par l'étude : de nombreuses distractions, parmi lesquelles la télévision, sont "présentes aux repas" pour 29% des enfants, "surtout dans les familles moins aisées"(1). La télévision fait déjà partie du rituel du repas pour 15% des moins de 3 mois.

Pour le Dr Bocquet, "outre l’altération de la convivialité des repas si importante à cet âge, la télévision à table a des répercussions du point de vue alimentaire : il faut savoir qu'un enfant qui mange devant la télévision consomme une ration calorique plus importante, il avale machinalement sans savourer son repas, sans se rendre compte des quantités absorbées."

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(1) L'étude n’inclut toutefois pas de représentants de la "population en très grande précarité".

(2) Si les pères s’impliquent un peu plus en 2013, ils ne sont que 2% à nourrir régulièrement leur bébé.

(3) Selon le docteur Bocquet, "que les mamans aient allaité ou non, le refus des aliments (ou néophobie) est commun aux enfants, mais les bébés allaités semblent moins refuser la viande, le poisson, les œufs (23% contre 38%), et en tendance les fruits (18% contre 23%). Aujourd’hui, la recherche scientifique tend à démontrer que l’enfant allaité sera plus facilement familiarisé aux différents goûts selon la variété des aliments consommés par sa maman, pendant la grossesse et l’allaitement."

 

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