Réforme du compte pénibilité : la prévention sacrifiée

Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé samedi 8 juillet vouloir modifier le compte pénibilité. La réforme devrait entrer en vigueur en 2018, au détriment de l’esprit de prévention qui prévalait dans la précédente mouture du texte.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Le gouvernement souhaite retirer les postures pénibles et la manutention de charges lourdes dans la prise en compte de la pénibilité.
Le gouvernement souhaite retirer les postures pénibles et la manutention de charges lourdes dans la prise en compte de la pénibilité.

Le compté pénibilité, qu’est-ce que c’est ?

Depuis le 1er janvier 2015, le "compte personnel de prévention de la pénibilité" permet aux salariés exerçant une activité pénible d’acquérir des points en fonction desquels ils peuvent demander une formation pour se reconvertir, une réduction du temps de travail, avec compensation salariale ou un départ à la retraite anticipé. Le tout pour compenser la perte d’années d’espérance de vie ou d’espérance de vie en bonne santé causée par leur activité.

Comment gagne-t-on des points ?

En 2015, quatre critères permettant de juger de la pénibilité de l’activité étaient en vigueur. Si le salarié travaille la nuit, en équipes successives alternantes, dans un milieu hyperbare (sous haute pression) ou s’il exerce une activité répétitive, il peut gagner un point par trimestre par critère rempli, dans la limite de deux par trimestre.

En 2016 ont été ajoutés six autres critères : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les risques chimiques, les vibrations mécaniques, le bruit et les températures extrêmes. Avec, à chaque fois, des seuils annuels pour déterminer si l’emploi est pénible ou non.

Au total, 797 000 personnes ont bénéficié du compte pénibilité en 2016. Un chiffre important, que relativise Annie Jolivet, chercheuse au Centre d’études de l'emploi et du travail (CEET-Cnam) : "En 2015, 90% de ces salariés avaient entre 1 et 4 points. Ce ne sont pas des gens qui vont partir à la retraite du jour au lendemain."

Les autres, ceux avec un plus grand nombre de points, cumulent au moins deux risques à l’année, comme le travail de nuit et le port de charges lourdes par exemple. Peu nombreux sont ceux qui peuvent espérer compenser à court terme les dangers qu’ils encourent pour leur santé.

Que veut changer le gouvernement ?

Le Premier ministre souhaite "simplifier" le compte pénibilité, et propose de supprimer quatre critères, les plus décriés par le patronat : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition à des risques chimiques.

Aussi, le gouvernement souhaite réformer le mode de financement du désormais "compte personnel de prévention", nouveau nom du dispositif. Les cotisations spécifiques, notamment celles payées par les employeurs exposant leurs salariés à la pénibilité, seront supprimées et le financement sera transféré à la branche de la Sécurité sociale dédiée aux accidents du travail.

Pourquoi la suppression de quatre critères nuira-t-elle à la santé des salariés concernés ?

Le départ à la retraite anticipé sera toujours possible pour ces travailleurs. Seulement, ils devront faire reconnaître une maladie professionnelle avec un taux d’incapacité permanente excédant 10%. "On retombe dans une logique médicale. Il faut être malade pour bénéficier du dispositif, critique Annie Jolivet. Tout le volet prévention tombe." Plus question de bénéficier d’une formation, de travailler moins pour éviter d’arriver jusqu’à la maladie ou au handicap.

La reconnaissance d’une maladie professionnelle est très complexe. "Après la mise en place de la retraite anticipée pour pénibilité en 2010 (un dispositif semblable à celui voulu par l’actuel gouvernement) le gouvernement estimait que cela toucherait 10.000 personnes, poursuit l’économiste du CNEET-Cnam. En réalité, on en a eu moins de 3.000, notamment parce qu’il fallait prouver que la maladie avait un lien avec le travail." Une preuve difficile, voire parfois impossible à apporter.

Dans le cas des risques chimiques, le problème est plus tortueux encore. Exposé à des agents cancérogènes pendant sa carrière, un salarié peut être victime d'un cancer un cancer après la retraite. Il perdra donc des années d’espérance de vie, sans avoir pu quitter la vie active plus tôt que prévu.

Enfin, enlever des critères soustrait mathématiquement des points à des salariés qui cumulent deux facteurs de pénibilité, comme le travail en équipe alternantes et les postures pénibles. Une façon de retarder leur droit à la formation ou à la retraite.

La suppression de la cotisation spécifique aura-t-elle un impact sur la prévention des risques ?

Les syndicats de travailleurs ont dans l’ensemble fustigé la réforme proposée par le gouvernement. La CFDT s’est notamment montrée très attachée au principe de "pollueur-payeur", selon lequel les entreprises qui imposent une activité pénible à leurs employés payent plus que les autres. "Ce n’est pas qu’une question de financement, analyse Annie Jolivet. Le rôle de cette taxe est d’inciter à ce que la prévention collective soit mise en place pour réduire le nombre de salariés exposés à la pénibilité."

Par exemple, installer un matériel qui limite la manutention manuelle aurait un double avantage : moins de salariés travaillent dans des conditions pénibles et l’employeur paie moins. Une possibilité qui n’existera bientôt plus, réduisant encore le spectre des moyens pour prévenir les risques qu’encourent les employés.